Trois Océans à pas de danse

1978, quatre-vingt ans après Joshua Slocum, le premier navigateur à compléter la circumnavigation du monde à la voile en solitaire, c’est au tour d’une femme de réussir le même exploit : la polonaise Krystyna Chojnowska-Liskiewicz.

On pourrait être surpris.ses d’apprendre que la Pologne, un pays qui aujourd’hui souffre d’une mauvaise réputation sur la question de l’égalité à cause de sa politique anti-avortement, a supporté la première femme à se lancer dans cette aventure.

Née en 1936, à Varsovie, Krystyna Chojnowska-Liskiewicz est passionnée de voile depuis l’enfance. Elle se lance dans de brillantes études d’ingénieur à l’école polytechnique de Gdańsk et intègre par la suite le chantier Stogi avec son mari et ancien collègue d’université.

En 1975, année Internationnale des femmes célébré par l’ONU, lorsque la Pologne décide d’honorer l’occasion en offrant la possibilité à une femme d’accomplir le tour du monde en solitaire, Krystina tente sa chance. Elle est retenue entre autres, pour ses compétences techniques dans la construction et la réparation des bateaux. Avec son mari, elle construit un bateau, Mazurek, (genre de musique typique polonaise) , entièrement conçu et adapté aux besoins de sa navigation lui permettant de manœuvrer en performance et avec aisance.

Elle déclare lors d’une interview à la Gazeta Wyborcza.“Le yacht était parfaitement adapté à mes besoins. C’était comme je le voulais. […] Le pont était aussi lisse que possible parce que cela augmentait la sécurité. Il avait une barre spécialement attachée avec un traversin. Il a été construit en six mois et mesurait 9,5 mètres de long et près de 3 mètres de large.

Femme marin confirmée, connaissant les moindres recoins et tous les instruments de son bateau, Krystyna Chojnowska-Liskiewicz quitte les Canaries le 28 mars 1976, après un premier départ infructueux pour rejoindre la Barbade. Elle gagne l’Océan Pacifique en passant par le canal de Panama,  et rejoint Sydney en décembre de la même année. Elle continue son voyage via l’Océan Indien pour arriver en Afrique du Sud en septembre 1977. Le 21 Avril 1978,  elle est de retour aux Canaries et  boucle son  tour du monde en 401 jours.

L’adaptation ergonomique de son voilier à sa propre morphologie, la personnalisation des outils et ses  compétences techniques ont permis à cette navigatrice de réaliser une course qu’aucune femme n’avait menée jusque là. Tout au long de la course, Krystina a eu la possibilité d’échanger avec son mari, qui, comme un project manager des teams actuels, suivait la course depuis le continent.

L’innovation majeure apportée par le couple Chojnowska-Liskiewicz a été la construction d’un bateau parfaitement adapté aux nécessités d’une femme en mer, quelque chose encore aujourd’hui rarement considéré par les chantiers nautiques. Dans la discipline de la course, la force ou même les qualités physiques ne sont pas un élément déterminant de l’essentiel de la performance sportive : les composantes techniques, tactiques et météorologiques constituent des facteurs tout aussi importants.L’argument de la « prime au muscle » qui exclut de fait les corps dotés de moins de puissance (en d’autres termes les femmes et les personnes non valides) devrait paraître  aujourd’hui obsolète. Ce ne sont pas les corps qui devraient déterminer la présence d’un.e concurrent.e dans un équipage. On devrait plutôt s’interroger sur  l’adaptation du bateau aux particularités des membres, ce que l’on commence à observer dans les teams sportives professionnelles mais qui fait défaut aux modèles grand public..

Les avancées technologiques de ces dernières décennies ont permis d’adapter les bateaux à tous les corps des concurrent-e-s., comme en témoignent les performances de l’équipage de Jolokia.

Et pourtant ces puissants stéréotypes sexués comme l’allusion aux moindres capacités physiques des femmes sont toujours véhiculés par le milieu et excluent les navigatrices des courses en équipage. Franck Cammas encore aujourd’hui ne fait équipe qu’avec des hommes, « parce que les femmes manquent de force physique. C’est comme si on demandait pourquoi il n’y a pas de femmes en équipe de France de rugby ? C’est une évidence. On recherche des gabarits puissants ».

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